Cette causerie a été animée par Mme Azizah Al-Hibri, ancienne professeur de droit à l'Université de Richmond, sous le thème "Le vice de l'orgueil dans ses manifestations modernes", s'inspirant du verset coranique : "Et lorsque Nous demandâmes aux Anges de se prosterner devant Adam, ils se prosternèrent à l'exception d'Iblis qui refusa, s'enfla d'orgueil et fut parmi les infidèles".
A l’entame de son intervention, Mme Al-Hibri a souligné que l’orgueil dans ses manifestations modernes, synonyme d’infatuation et de volonté d’être supérieur aux autres ici-bas, est un pêché majeur et un vice blâmable et répréhensible car il empêche l’individu ou la collectivité de suivre les recommandations du Coran qui rappellent à l’Homme ce qu’il en est réellement et l’obligation d’être humble face au créateur.
La dimension politique de l’humilité de l'Homme envers le Très Haut se manifeste de ce fait par le rejet de la corruption et l’attachement à accomplir ses obligations, a-t-elle dit, notant que si certains estiment que cette notion morale est aujourd’hui dépassée, selon leur compréhension étriquée, et n’influe nullement sur la vie politique, les musulmans par contre, qui s’inspirent du Coran en tant que source de guidance, n’appréhendent les questions de vie, y compris la politique, qu’à travers les recommandations coraniques immuables.
Après avoir fait observer que le Coran met en garde dans des dizaines de sourates, contre ce vice non pas en tant que comportement individuel mais comme un agissement collectif qui influe sur la politique, elle a noté que l’orgueil politique se manifeste actuellement sous de nouvelles formes et que ses victimes sont les personnes les plus faibles de la société.
Elle a dans ce sens affirmé que la modestie et l’humilité sont des qualités méritoires qui rappellent à l’Homme les attributs de la perfection de Dieu, son omnipotence et sa grandeur.
La conférencière a articulé son intervention sur trois grands axes, à savoir le danger de l’orgueil, les raisons de son interdiction et son bannissement ainsi que ses conséquences, la situation des musulmans au sein de la société de l’information qui a chamboulé toutes les équations et fait émerger de nouveaux défis qui requièrent une pensée clairvoyante qui tienne compte de la mise en garde par le Très-Haut contre l’orgueil et la nécessité de s’ouvrir sur autrui tout en préservant les valeurs de la Oumma.
Lorsqu’on porte sur soi un regard critique profond, l’on se rend compte que certains vices dont le Tout-Puissant nous a mis en garde se sont propagés contribuant à la dislocation des sociétés et leur régression civilisationnelle, a-t-elle affirmé, notant que l’orgueil qui a pris des manifestations modernes figure à la tête de ces maux destructeurs.
Relevant que l’unicité de Dieu est le principe fondamental de notre sainte religion et que Dieu est omnipotent et source de tout ce qui existe, Mme Al-Hibri a cité l’histoire du bannissement de Iblis qui, par orgueil, a contesté l’ordre de Dieu de se prosterner à Adam s’estimant meilleur car créé à partir du feu alors qu’Adam a été créé d’argile.
Iblis, qui a désobéi à Dieu et fut maudit, a demandé au Très-Haut de lui accorder un délai jusqu’au jour de résurrection pour détourner et égarer sa descendance, a-t-elle dit, ajoutant, à cet égard, que l’Imam Al Ghazali a mis en garde, dans son ouvrage "revivification des sciences de la religion", les musulmans contre les conséquences de cette logique iblissienne car le fait de mépriser les Hommes conduit à renier l’ordre du créateur.
L’orgueil est un pêché capital qui mène à la mécréance et à la perdition, a-t-elle souligné, rappelant que le prophète Sidna Mohammed, Paix et Salut sur Lui, a défini l’orgueil comme étant le rejet de la vérité et le mépris des gens ou le refus de faire preuve d’humilité et de modestie envers Dieu.
Elle a en outre fait constater que les liens d’unité et de fraternité au sein de notre Oumma sont menacés, soulignant à ce propos l’importance de la connaissance et la reconnaissance mutuelle comme il est souligné dans le verset coranique "nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez".
Rappelant qu’à l’aube de l’Islam, les musulmans avaient puisé dans les civilisations grecque et romaine en dépit des différences religieuses et les conflits armés répétés pour construire une grande civilisation qui a marqué l’histoire et que les pays européens et d’autres régions du monde avaient également tiré profit de la civilisation islamique, elle a indiqué que plusieurs travaux de recherche évoquent l’apport positif de la civilisation islamique à l’Europe, ce qui n’est pas le cas pour l’histoire des relations civilisationnelles et politiques des Etats-Unis avec les pays musulmans et la pensée islamique.
Elle a relevé que même si au 18è siècle, le tempérament populaire a été influencé par les idées d’orientalistes erronées sur l’Islam, certains pères fondateurs des Etats-Unis ont veillé à approfondir leurs connaissances de l’Islam et de la civilisation islamique, citant en exemple le troisième président américain Thomas Jefferson dont la bibliothèque comprenait au moins une copie du Saint Coran et plusieurs ouvrages sur les anciennes civilisations y compris islamique. Cela montre, a-t-elle ajouté, qu’il était conscient de l’importance de s’ouvrir sur ces civilisations et s'en inspirer pour développer le modèle de gouvernance américain.
Jefferson, qui a commencé à s’intéresser à l’Islam alors qu’il était étudiant, avait une copie du "Coran Sale", un ouvrage en deux tomes du britannique George Sale, paru en 1734 et traitant de l’histoire de la civilisation islamique et de la traduction du Coran.
Elle a fait observer que Sale a soulevé, dans son ouvrage, un point essentiel qui aurait probablement inspiré la pensée et les écrits de Thomas Jefferson, en l’occurrence le Hadith du prophète qui a indiqué qu’"il est venu pour annoncer aux Hommes la bonne nouvelle et les mettre en garde" sans toutefois obliger quiconque à embrasser l’Islam.
Jefferson a exprimé un point de vue similaire dans ses écrits sur la liberté de culte, a-t-elle dit, se demandant si le troisième président des Etats-Unis, à l’origine de la loi sur la liberté de culte en Virginie, n’a pas été inspiré par le Coran pour formuler sa position sur la liberté religieuse.
Evoquant le concept du fédéralisme dans la constitution américaine, elle a fait savoir qu’une brève comparaison avec la Charte de Médine, qui représente le plus ancien mode de gouvernance fédéral, révèle des similitudes intellectuelles et juridiques fondamentales. Elle a, par ailleurs, indiqué que la position arrogante et rejetant les autres civilisations ignore l'histoire de la constitution américaine et le principe de l'alternance des civilisations.
Abordant le troisième axe de son intervention, elle a indiqué que le monde évolue à l’ère de la troisième révolution technologique qui a changé nos modes de réflexion, notre vision du monde et l’accès à l’information, soulignant que les jeunes ont abordé cette nouvelle ère, sans qu’ils soient préparés et sans garde-fous intellectuels à même de les prémunir contre toute manipulation faisant d’eux des proies faciles aux pièges d’iblis.
Il est nécessaire de remédier à cette situation en apprenant plus sur cette civilisation nouvelle, avec enthousiasme et sérieux, afin de cerner ses valeurs et fondements et d’inculquer aux jeunes une éducation saine et critique afin qu’ils puissent interagir positivement avec cette civilisation.
L’ouverture sur les civilisations devient ainsi en ce moment précis une obligation et un devoir pour ne pas rater des chances décisives pour assurer la prospérité de la Oumma et la prémunir contre tout danger, a-t-elle estimé, relevant que les politiques fondées sur le principe de connaissance entre les nations ont fait leur preuve à travers l’Histoire.
A l’issue de cette causerie, SM le Roi Mohammed VI, Amir Al Mouminine, a été salué par le Pr. Kais Ben Mohamed Ben Abdellatif Al-Moubarak Al-Tamimi, membre du comité des grands Oulema du Royaume d’Arabie Saoudite, le Pr Jalaleddine Allouche, enseignant à l’université Zaitouna en Tunisie, le Pr. Khalid Madkour Abdallah Al Madkour, président de la haute commission consultative pour l’achèvement de l’application des dispositions de la Charia (Koweit), Abdelaziz Ben Saleh Al Aoudi, conseiller au cabinet du ministre des waqfs et des affaires religieuses au Sultanat d’Oman, le Pr Mohamed Al Hafed Ould Salek, alem et poète de la famille alaouite en Mauritanie.
Le Souverain a été également salué par hadj Abdallah Jassi, Alem de Guinée, le Pr. Mohamed Carlo, Alem d’Afrique du Sud, Ahmed Miyan Thanoui Farouki, Alem du Pakistan, Ismail Datsitch, directeur du centre d’enseignement et de développement de la culture islamique, Imam de la mosquée Othmane au Monténégro, le Pr. Mortada Boussairi, enseignant à l’université de Lagos au Nigéria et le Pr. Abderrahim Hafidi, chercheur et journaliste à la chaine de télévision France 2.
Par la suite, le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq a remis à SM le Roi, Amir Al Mouminine, une copie du Saint Coran (Al Moshaf Al Mohammadi) enrichi d’enluminures originales (Warch an Nafiâ).
La commission scientifique de la Fondation Mohammed VI pour l’édition du Saint Coran a supervisé l’édition, la vérification et la correction de cette copie, qui se caractérise par des touches inventives dans les couleurs.