Nous sommes en 1950. Le moment était celui d’un arrachement intense pour un saut dans l’inconnu, se rappelle Fatima les yeux embuées, alors âgée de six ans à peine. Elle et sa petite sœur Jmiaa ne savaient pas exactement ce qui se passait et encore moins les destins qui se décidaient.
« Je voyais mon père, un homme au caractère bien trempé et rigide, alors qu’il quittait le douar, se tourner de loin vers nous pour nous dire, d’un signe de la main, +A Dieu+ », confie-t-elle à la MAP. « Il n’y avait ni accolade ni larmes. Petite, j’avais déjà le pressentiment qu’il n’allait plus revenir ».
Fatima et la famille n’avaient aucune idée quant à la destination du père. Depuis son départ, plus aucune information sur lui. Mohamed était parti en Corée pour combattre sous la bannière des Nations-Unies lors de l’effroyable guerre de Corée (1950-1953).
Plus de sept décennies plus tard, un développement inattendu allait se produire. La surprise de la famille fût grande, quand l’ambassade du Maroc en Corée est entrée en contact avec elle pour l’informer que Feu Mohamed Benkaddour Lasri était inhumé au cimetière des Nations-Unies à Pusan, une ville côtière en Corée, à 450 KM au sud de la capitale Séoul.
Des recherches studieuses et appliquées menées par les soins de l’ambassade du Maroc à Séoul auprès des institutions coréennes ainsi que des documents du bureau du Cimetière onusien ont révélé que Mohamed Benkaddour Lasri est un soldat de nationalité marocaine, venu combattre en Corée sous l’égide de l’ONU.
Selon ces documents, Lasri, né en 1915, est mort des suites de blessures subies lors de combats sur la colline 1037 dans la région de Munchi, à environ 200 km au nord de Wonju (sud-ouest de la Corée). Caporal-Chef, portant le matricule 318, Benkaddour Lasri est inhumé dans la sépulture numéro 571, au cimetière de Pusan.
Outre la surprise d’avoir, après de nombreuses années, des informations sur le destin du soldat marocain, la famille Lasri, en particulier Fatima, ne savait pas qu’un jour elle aura l’occasion de se recueillir enfin sur la tombe de son père.
« Je racontais toujours à ma famille un rêve que je voyais d’une manière assez récurrente. Je voyais que je voyageais vers un pays très lointain pour visiter mon père », raconte Fatima, le regard toujours clair et lucide malgré la vieillesse et la lassitude qui pèsent sur ses épaules.
« C’est un rêve qui se réalise », se réjouit Fatima, qui a pu se rendre en République de Corée, grâce au concours bienveillant de l’ambassade du Maroc à Séoul et la collaboration de l’ambassade de Corée à Rabat.
Fatima, une dame de très grande dignité, ne trouvait pas les mots pour décrire ses sentiments au moment où elle a jeté le premier regard sur le lieu de repos de son père. Elle s’est contentée de dire des prières et de rester seule pendant un moment au côté de la sépulture comme si c’était pour raconter à son père les longues années d’attente et d’interrogations qu’elle a endurées.
Récemment, Mohamed Lasri a été honoré, au même titre que les 2.300 soldats tombés sur le champ de bataille en Corée, à travers une cérémonie d’hommage dans le cadre du programme « Revisit Korea », organisé par le gouvernement du pays.
Une visite a été organisée au site du cimetière onusien, qui fut aménagé en janvier 1951 pour enterrer des combattants venus de nombreux pays afin de contribuer, sous la bannière de l’Onu, à la libération de la Corée, où les valeurs du monde libre étaient sous la menace de l’invasion du nord.
Le site, placé sous la responsabilité de l’Onu, se dresse toujours comme un rappel de cet épisode difficile de l’histoire de la République de Corée, ce pays asiatique affectueusement surnommé le pays du Matin Calme, en référence à la beauté de ses montagnes, ses eaux limpides et sa tranquillité splendide.